Macky Sall face à la Haute Cour de Justice : vers un procès inédit au Sénégal ?
La Haute Cour de justice du Sénégal pourrait bientôt juger pour la première fois un ancien président, Macky Sall. Accusé de haute trahison et de détournements financiers, Sall fait face à des menaces de poursuites portées par le nouveau gouvernement, tandis que des interrogations persistent quant à l’indépendance et la légitimité de cette institution rarement sollicitée. Alors que les élections législatives du 17 novembre approchent, cette affaire pourrait redéfinir le rôle de la Haute Cour dans l’équilibre des pouvoirs et la responsabilité des dirigeants au Sénégal.
La Haute Cour de justice, une institution peu sollicitée depuis l'indépendance du Sénégal, pourrait bientôt être confrontée à une affaire sans précédent : le procès potentiel de Macky Sall, ancien président de la République. Pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, un ex-chef d'État pourrait se retrouver devant cette juridiction spéciale. Cette éventualité soulève des questions cruciales sur le rôle, l’indépendance et la légitimité de cette institution. En effet, au sein du nouveau gouvernement, des voix s’élèvent pour réclamer des poursuites contre l’ancien président. Fadilou Keïta, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), a lancé une attaque virulente contre Macky Sall lors d’une interview sur Seneweb TV : « Nous avons les moyens de le faire payer ; nous allons le faire payer ! Il a commis des actes extrêmement graves. Les preuves sont là. Les personnes avec qui il a traité sont là. Ceux qu’il a sacrifiés sont là ; et ce sont ces mêmes personnes qui vont témoigner contre lui avec des documents probants. » Ces accusations soulèvent la question délicate de la "haute trahison", l'unique motif pour lequel un président de la République peut être jugé selon l'article 101 de la Constitution sénégalaise. Le professeur Mouhamadou Ngouda Mboup, de l'Université Cheikh-Anta-Diop, a partagé ses analyses dans un article publié par le magazine Jeune Afrique. Selon lui, « ni la Constitution ni la loi organique sur la Haute Cour de justice ne définissent précisément la haute trahison ». En d'autres termes, la responsabilité de cette définition revient aux députés, une situation qui pourrait poser des problèmes d'interprétation. Il ajoute qu’un mensonge d’État, tel que la falsification du taux d’endettement ou du PIB, pourrait être considéré comme un acte de haute trahison. Par ailleurs, la composition de la Haute Cour de justice suscite également des préoccupations. Elle sera constituée de huit juges titulaires et huit juges suppléants, tous élus parmi les membres de la nouvelle Assemblée nationale. Cette particularité a suscité des interrogations quant à l’impartialité de cette juridiction, comme le souligne Me El Hadj Amadou Sall, avocat proche de l’ancien président : « Pour renvoyer Macky Sall en procès, il faudrait que sa mise en accusation soit adoptée à la majorité des trois cinquièmes des députés. » L'histoire de la Haute Cour de justice n’est pas exempte de controverses. En 1963, elle avait condamné Mamadou Dia, ancien Premier ministre, ainsi que quatre de ses ministres, dans un procès que beaucoup considèrent comme une mascarade politique. Me El Hadj Amadou Sall met en garde contre une répétition de ce scénario : « Ces accusations relèvent de l'imbécillité de jeunes qui cherchent à intimider Macky Sall pour l’empêcher de revenir faire campagne au Sénégal. » Face à cette situation tendue, Macky Sall a opté pour la prudence. D’après les informations de Jeune Afrique, l’ancien président n’envisagerait pas de revenir au Sénégal pour la campagne électorale, craignant une arrestation éventuelle. Me El Hadj Amadou Sall confirme : « Pour éviter qu’il soit inutilement malmené, je pense qu'il serait préférable qu’il s’abstienne de venir battre campagne. » Les accusations portées contre Macky Sall sont lourdes. Outre la répression violente des manifestations pro-Sonko entre 2021 et 2023, l'actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, évoque des soupçons de détournements financiers massifs. Sonko suggère même que le Fonds monétaire international (FMI) aurait été trompé par l'administration de Macky Sall. Toutefois, Me El Hadj Amadou Sall conteste ces allégations : « Comment la Cour des comptes pourrait-elle valider aujourd'hui un audit qui remet en cause des chiffres qu'elle avait elle-même validés les années précédentes ? » Il fait également remarquer que « l'actuel ministre des Finances, Cheikh Diba, est l’ancien directeur de la programmation budgétaire de ce même ministère. » Les élections législatives du 17 novembre seront cruciales pour l’avenir de Macky Sall. Si le parti d’Ousmane Sonko obtient une majorité confortable, comme le prédisent certains observateurs, la mise en accusation de l’ancien président pourrait devenir une réalité. Cela mettrait la Haute Cour de justice dans une position sans précédent, la confrontant à l’exigence de conduire un procès équitable dans un climat politique extrêmement tendu. Cette affaire pourrait redéfinir le rôle de la Haute Cour de justice dans le paysage institutionnel du Sénégal. Elle pose des questions fondamentales sur l'équilibre des pouvoirs, la responsabilité des dirigeants et la capacité du système judiciaire à traiter des affaires aussi sensibles politiquement. Le Sénégal, souvent perçu comme un modèle de démocratie en Afrique, est à la croisée des chemins, tant sur le plan politique que judiciaire. Dans ce contexte, la Haute Cour de justice pourrait se retrouver sous les feux des projecteurs. Jusqu’ici peu sollicitée, son intervention dans une affaire aussi complexe et médiatisée pourrait marquer un tournant décisif dans l’histoire politique et judiciaire du pays. L’issue des élections et des procédures légales à venir aura un impact considérable non seulement sur l'avenir de Macky Sall, mais aussi sur la solidité des institutions sénégalaises. Le verdict de la Haute Cour de justice, s’il y a lieu, sera scruté non seulement par le peuple sénégalais, mais aussi par la communauté internationale. Le Sénégal a toujours cherché à se distinguer par sa stabilité et sa maturité démocratique ; un procès équitable, mené en toute indépendance, pourrait renforcer cette image. À l'inverse, toute apparence de règlement de comptes politique pourrait ternir cette réputation et plonger le pays dans une crise institutionnelle.
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