La solitude des femmes d’émigrés : quelle solution proposez-vous ?

La solitude des femmes d’émigrés : quelle solution proposez-vous ?
Résumé

raQtaQ explore la solitude des femmes sénégalaises mariées à des émigrés, communément appelés "modou-modou". Ces femmes, souvent poussées à se marier avec des émigrés pour des raisons financières, se retrouvent seules pendant des années, devant gérer l'absence de leurs maris, les pressions familiales et le manque d'amour. Certains mariages sont forcés, surtout dans les régions rurales, et entraînent des conséquences graves, telles que des cas d'infanticide liés aux grossesses hors mariage. Malgré les difficultés, certaines femmes prennent leur destin en main en devenant économiquement indépendantes, mais un soutien social et des programmes de sensibilisation sont nécessaires pour les aider et changer les mentalités sur ces mariages à distance.

raQtaQ, ven. 6 déc. 2024.

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Mariées à des hommes partis émigrer en Occident, des milliers de Sénégalaises passent des années sans voir leur mari. Elles doivent gérer la pression familiale, le manque d’argent et l’absence d’amour. Assise sur un canapé en cuir beige, ses longues jambes se balancent sur l’accoudoir. C’est dans son salon qu’Awa (les prénoms ont été changés) raconte sa vie de femme mariée à un « modou-modou », comme on appelle les émigrés au Sénégal. Le couple a un garçon de 3 ans. Son père ne l’a jamais vu. Jusqu’à présent, faute de papiers, il n’a pas pu revenir au Sénégal. Ce serait prendre le risque de ne plus pouvoir repartir. En attendant, des coups de téléphone quotidiens et des envois de vidéos de la vie d’ici maintiennent le lien. Awa s’interroge : « En dix ans de mariage, nous n’avons vécu que quatre mois ensemble. Sans cette séparation, combien d’enfants aurions-nous pu avoir ? Combien de choses aurions-nous pu faire ? » L’indignation l’emporte quand elle raconte combien il est dur et humiliant d’obtenir un visa de tourisme pour rendre visite à son époux. Awa a attendu trois ans avant de pouvoir partir pendant ses vacances.

Elles n’ont pas vu leur mari depuis deux, quatre… voire dix ans

Son histoire est celle de la plupart des femmes de Louga, à 200 km au nord de Dakar, la capitale. C’est dans cette ville de 200 000 habitants que les émigrés sont les plus nombreux. Poussées par la famille, par les amies, beaucoup de jeunes filles croient qu’en épousant un modou-modou elles n’auront pas de souci matériel. Et si la crise économique mondiale a compliqué ce schéma, les idéaux restent tenaces. Awa relate : « Entre elles, les filles se disent : “Si ce n’est pas un émigré, ne te marie pas avec lui”. Certaines quittent même leurs petits copains pour un modou-modou qu’elles connaissent à peine. » Le modèle est si fortement ancré dans la société que dans la région du Fouta (nord du Sénégal), « les hommes se plaignent de ne pas trouver de femmes car ils ne sont pas émigrés », explique Fatou Sarr Sow, sociologue spécialiste du genre et des migrations. Au bord des routes, de grandes villas poussent, les derniers modèles de 4×4 se pavanent dans les rues de cette ville aux allures de gros village. Les émigrés ayant fait fortune sont loin d’être majoritaires, mais ils entretiennent le fantasme. 15 000 à 20 000 hommes de la région de Louga sont en Europe (Espagne, Italie et France principalement) et 5 000 à 6 000 aux États-Unis, selon Amadou Fall, adjoint au maire de Louga, chargé des Lougatois de l’extérieur. Les jeunes fuient un taux de chômage de 60 %. Comme en Occident au temps des guerres, une grande majorité de la population de la ville est composée de femmes qui n’ont pas vu leur mari depuis deux, quatre, six voire dix ans.

« Je lui ai demandé : “Qui s’est marié ?” Elle m’a répondu : “toi” »

Awa est une exception, car son union est un mariage d’amour. À 13 ans, Fatimata a été mariée de force par sa tante, persuadée qu’une alliance à un modou-modou permettrait des revenus financiers assurés. Selon le capitaine Moustapha Ndour, commandant de la compagnie de gendarmerie de la région de Louga, de 2008 à juillet 2010, les trois quarts des mariages scellés avec des émigrés sont des mariages forcés. Aujourd’hui, Fatimata a 20 ans. Elle n’a cessé de réclamer le divorce à un mari qui l’ignore. Droite et fière, installée en tailleur sur le lit de sa patronne, elle raconte son mariage : « Un jour, je discutais avec mes copines sur la terrasse. Ma tante arrive avec des noix de kola, qu’on distribue traditionnellement pour célébrer un mariage. Je lui ai demandé : “Qui s’est marié ?” Elle m’a répondu : “toi”. » Dans la religion musulmane, pas besoin de la présence des deux époux pour célébrer le mariage. L’adolescente voit son mari une fois, puis celui-ci repart en Europe. Envoyée manu militari dans la maison de sa belle-famille, personne ne la soutient. Pendant six mois, son mari ne lui enverra pas d’argent et ne lui téléphonera pas. Trois ans plus tard, elle lui arrache enfin un divorce, plus facile à obtenir car ils n’ont pas eu d’enfants.

Un taux d’infanticide élevé

Conséquences de ces mariages précoces et forcés : un taux d’infanticide élevé lié à des grossesses extra-conjugales. « Ces cas sont liés aux questions d’émigration. Les maris laissent leurs femmes très jeunes, pendant des temps très longs », souligne le capitaine Moustapha Ndour. Depuis 2008, six cas connus d’infanticides ont été répertoriés dans la région, et les journaux sénégalais font régulièrement écho de ces faits divers. Au Sénégal, concevoir un enfant hors mariage est considéré comme une honte. La sociologue Fatou Sarr Sow précise : « Les infanticides ont souvent lieu dans le milieu rural. Ces femmes sont dans des états de dépression tels qu’on ne peut pas parler d’acte choc. » « De temps en temps, l’infanticide est camouflé par la famille. Le plus souvent, ces femmes enterrent leurs nouveaux-nés, les jettent dans un puits ou les abandonnent dans la rue », rapporte le capitaine. À Louga, il n’existe pas d’associations ou de services d’assistance sociale pour leur venir en aide. Touty Dieng est la seule personne à avoir canalisé toutes les angoisses de ces épouses d’émigrés. Pendant dix ans, la vieille dame a animé une émission radio, Confidences, qui leur est dédiée. Deux fois par semaine, elle lisait quelques lettres envoyées anonymement par ces femmes. Et Touty Dieng en a reçu des centaines et des centaines. On y abordait tous les sujets. Comme ces femmes choisies à distance par les hommes. En Europe, des Sénégalais les ont trouvé jolies sur une vidéo ou une photographie, envoyées pour montrer le dernier baptême de la famille. S’ensuivent des demandes en mariage, dont peu de refus. Awa ajoute : « Pour les hommes, c’est plus pratique. Quand ils reviennent pendant leurs deux mois de vacances, ils peuvent consommer directement le mariage. Ils ne perdent pas de temps à chercher une femme à Louga et à préparer la cérémonie ».

Un avenir incertain pour les femmes des émigrés

Ces mariages avec des émigrés continuent de façonner le rêve de beaucoup de jeunes filles au Sénégal, mais la réalité est souvent bien loin des attentes. Beaucoup d’entre elles, après des années d’espoir et de sacrifices, finissent par se retrouver seules, sans soutien et avec de lourdes responsabilités. Les pressions familiales, l’isolement et l’instabilité émotionnelle sont devenus les réalités quotidiennes de ces femmes. Les rares visites de leur époux ne suffisent pas à combler le vide émotionnel et l’absence prolongée de leur partenaire. Cela affecte directement le bien-être des enfants, qui grandissent avec un père absent et une mère souvent submergée par des défis financiers et sociaux. En l’absence de réseau de soutien, les femmes des émigrés ont besoin de trouver des solutions pour leur propre survie économique et pour subvenir aux besoins de leurs familles.

Les femmes prennent les devants

Certaines femmes décident de prendre leur avenir en main en entreprenant des activités commerciales locales. Elles se lancent dans de petites affaires pour compenser l’absence de soutien financier de leur époux. On trouve des exemples inspirants de femmes qui se lancent dans la vente de produits artisanaux, l’agriculture ou même l’artisanat. Ces femmes font preuve d’un courage et d’une détermination à toute épreuve pour surmonter les épreuves et offrir une vie meilleure à leurs enfants. Pour Fatimata, son divorce a été une occasion de recommencer sa vie. Elle s’est inscrite à des cours de couture et a réussi à ouvrir un petit atelier dans son quartier. Elle parle aujourd’hui avec fierté de son indépendance retrouvée et de sa capacité à subvenir elle-même à ses besoins. Ce parcours, bien que semé d’embûches, lui a permis de sortir de l’ombre de son époux et de s’affirmer comme une femme autonome.

Vers un changement de mentalités

Pourtant, il est évident que la pression sociale qui pousse les jeunes filles à se marier avec des émigrés doit être remise en question. La sociologue Fatou Sarr Sow plaide pour une sensibilisation des communautés aux conséquences de ces mariages forcés et à distance. Il est urgent de développer des programmes de soutien aux femmes des émigrés, notamment des services d’accompagnement psychologique et des ateliers de formation professionnelle pour leur permettre de s’épanouir et de réaliser leur potentiel. En outre, le rôle des médias est essentiel pour changer les mentalités. Des émissions radio comme Confidences de Touty Dieng ont montré qu’il est possible de créer des espaces où ces femmes peuvent exprimer leurs angoisses et leurs espoirs. La multiplication de ce type de programmes pourrait aider à briser les tabous autour de la solitude des femmes d’émigrés et à sensibiliser l’opinion publique à leurs conditions de vie.

Des solutions communautaires pour briser l’isolement

Il est également nécessaire de renforcer les initiatives communautaires qui visent à briser l’isolement des femmes d’émigrés. Les associations de femmes, par exemple, pourraient jouer un rôle crucial dans la création de réseaux de soutien et la promotion de la solidarité locale. En organisant des ateliers, des formations et des événements communautaires, ces associations peuvent aider les femmes à sortir de leur isolement et à développer des compétences qui leur permettront de s’affirmer socialement et économiquement. Le soutien des autorités locales est également primordial. Il est indispensable de mettre en place des programmes d’accompagnement économique et psychologique pour ces femmes, afin de les aider à surmonter les défis auxquels elles sont confrontées. Les autorités peuvent collaborer avec des ONG et des organisations internationales pour financer des projets visant à améliorer les conditions de vie des femmes des émigrés.

Changer la perception des émigrés

Enfin, il est également crucial de changer la perception que les jeunes filles ont des émigrés. Plutôt que de les voir comme une garantie de sécurité financière, elles doivent comprendre les réalités des épreuves et des sacrifices qu’implique la vie en émigration. Beaucoup d’hommes partis à l’étranger se retrouvent eux-mêmes en difficulté, avec des emplois précaires et des conditions de vie éloignées du rêve vendu par les idéaux sociétaux. Le récit de ces femmes, bien que douloureux, est porteur d’espoir. Leur résilience face à l’adversité et leur capacité à prendre leur destin en main montrent que, malgré les obstacles, elles peuvent surmonter les difficultés et construire un avenir meilleur pour elles-mêmes et pour leurs enfants. Mais pour que cela soit possible, la société toute entière doit s’engager à les soutenir, à les écouter et à créer des conditions qui leur permettront de vivre pleinement leur vie. C’est seulement à travers cette prise de conscience collective que la solitude des femmes d’émigrés pourra trouver une solution durable et humaine.


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