Ombres sous le pont : survie et luttes en marges de Dakar

Ombres sous le pont : survie et luttes en marges de Dakar
Résumé

Sous le pont de Diamalaye, entre Yoff et les Parcelles Assainies, une vie parallèle s’organise, marquée par une population hétéroclite et souvent marginalisée, vivant dans des conditions précaires. Ce lieu non aménagé devient un terrain fertile pour la criminalité, attirant sans-abri, trafiquants, et autres exclus sociaux. Malgré les activités diurnes comme les gargotes et les mécaniciens, les nuits sont marquées par l’insécurité et des récits d’agressions, comme celui d’un livreur surpris par des voleurs. Les habitants, tels que Moussé Sy et Pape Sow, dénoncent l’absence d’intervention des autorités locales et demandent des mesures de sécurité. Des personnages comme « Thian » ou Pathé, chacun avec un passé difficile, illustrent l’enracinement de cette vie en marge. Ce microcosme reflète une réalité sociale préoccupante, où désespoir, survie et insécurité se mêlent, exigeant une réponse urgente des pouvoirs publics.

raQtaQ, dim. 8 déc. 2024.

Écouter

L’absence d’aménagement sous les ponts routiers attire des individus d’horizons différents. Un terreau fertile au banditisme qui pose aussi un péril environnemental mais surtout sécuritaire. Le pont de la Cité Diamalaye est loin d’être une exception. Les alentours du pont de la Cité Diamalaye deviennent le point de ralliement d’une frange de la population, lucifuge cette fois. Des individus aux visage crispé, qui se lèvent quand le soleil se couche, et qui se couchent quand l’astre se lève, car menant la vie à l’envers. Ils trouvent, dans cet endroit dont une partie se trouve dans la commune de Yoff et l’autre aux Parcelles Assainies, les conditions de leur épanouissement. Il est 22h, ce vendredi 29 novembre 2024, un vent frais annonce le début du froid. A côté du mur du cimetière musulman de Yoff, aux murs glauques, se mène une vie pleine d’activité : gargotes, ribambelle de mototaxis « Jakarta », briquetiers… Cet espace non aménagé est le lieu de toutes les fréquentations par des hommes et femmes venant d’horizons différents. « Vers 00h, je vais quitter et rentrer chez moi parce que ce lieu n’est pas sûr », avance d’un ton peureux, Abass Ngom, 22 ans, conducteur de moto, posté devant un fast food. Son ami et collègue Pape Sarr raconte sa mésaventure survenue le lundi 25 novembre 2024. « Vers 00h, je devais livrer un repas à une dame qui habite à Nord-Foire. Mais, j’ai surpris deux agresseurs qui dépouillaient une dame de ses biens. J’ai braqué les phares de la moto sur eux et ils ont fui. Malheureusement ils ont emporté le téléphone et le sac de la femme qui contenait ses pièces d’identité. De Diamalaye à Nord-Foire, c’est une autre vie qui s’y déroule la nuit avec des hommes qui squattent les lieux, souvent des malintentionnés », narre-t-il.

Les communes indexées

Le pont de Diamalaye semble être victime de la tumeur généralisée qu’est l’exode rural et dont les métastases se manifestent sous forme de bidonvilles lépreux, érigés à flanc de banlieue. Tas d’immondices, cases en bois qui servent de maison à des sans domicile fixe, gravats à la pelle, aire de repos pour charretiers et leurs chevaux… Dans ce décor, se sont implantés de sordides lupanars, des bars glauques, réceptacle des pauvres. « Si les communes de Yoff et des Parcelles Assainies avaient pavé ces lieux avec une présence régulière de la police, on n’en serait pas à ce niveau de criminalité. A partir de 22h, j’interdis à mes enfants de fréquenter le rond-point 26 », dit Moussé Sy, instituteur à la retraite. Debout devant sa maison dont l’un des étages surplombe l’infrastructure routière, il appelle à plus de sécurité dans ce milieu. Samedi 30 novembre 2024, à côté du climat paisible du cimetière, un fait tranche d’avec l’atmosphère de ce lieu de repos éternel. Dès la nuit tombée, un calme monacal se substitue à l’effervescence diurne. Le silence, tel un voile céleste, s’abat sur le quartier. Mais ce calme n’est qu’apparent. Dessous, se déroule une autre vie, en sourdine mais bouillonnante. La preuve, ces silhouettes furtives qui se succèdent : trublions, voleurs, fêtards, trafiquants de drogue, agresseurs y ont pignon sur rue. « En dessous du pont, c’est du grand n’importe quoi », se désole le sexagénaire Pape Sow, qui habite Nord-Foire. D’après cet ex-gendarme, des rafles permanentes doivent être effectuées dans cet espace. Sous le pont de Diamalaye coincé entre Yoff et les Parcelles Assainies, c’est une autre vie qui se déroule. Une ville dans une ville. Des kilomètres sablonneux par endroit, cloitrés entre les allées routières où foisonnent rébus, sans domiciles fixes, dealers, trafiquants, déflatés, entre autres rejets du corps sociétal. Médoune Thiandoum alias « Thian » dort encore à la belle étoile à 9h ce samedi 30 novembre 2024. Allongé sur une éponge déchirée en partie, noircie par des années d’usage, l’homme à la barbe poivre et sel est en contradiction avec sa famille. « Je ne suis pas un fou », rassure-t-il avec hargne, maîtrisant à merveille la langue de Molière.

« Je suis un apatride »

Sa musculation gringalet et son abord rébarbatif lui donnent l’air d’un sauvage. Emigré en Espagne de 2009 à 2013, « Thian » a divorcé avec sa femme à cause de problèmes conjugaux. Ruiné et de retour au Sénégal, il demande sa part d’héritage de la maison familiale sise à Guédiawaye suite au décès de ses parents. « Mes frères et sœurs ont dit niet. Donc, j’ai décidé de quitter la maison pour m’installer ici. Le voisinage m’aide à manger et parfois quelques automobilistes m’offrent des pièces d’argent. Je n’ai pas de vie sociale, ni association, ni communautaire. Comment peut-on vivre alors ? Je ne suis pas un délinquant car je n’ai jamais eu de problèmes avec les services de sécurité. Pourtant, je ne suis pas un citoyen dans mon propre pays. Je suis un apatride », se résigne-t-il, ton mélodramatique. A 52 ans, hypertendu et divorcé deux fois, « Thian » dit vouloir chanter les maux du monde. Au Rond-point 26, les travailleurs de la Société nationale de gestion des déchets (Sonaged) sont d’arrache-pied pour nettoyer les amas de détritus laissés par les occupants. Les lieux grouillent de gargotes, de mécaniciens, de « coxeurs ». « Beaucoup de personnes passent la nuit ici et la plupart sont des bandits. Il ne faut pas fréquenter cet endroit la nuit car ce n’est pas sûr. Ils nous rassemblent trop d’ordures », déplore Linda Gomis, tenant un balai. A quelques mètres, un jeune homme se laisse tomber sur le matelas et porte la main gauche sur son front. Sa migraine réveille sa douleur pulsatile qui lui vrille le temps. Nerveusement, Pathé se tâte la poche, y sort un mégot de cigarette qu’il allume illico presto. Il en tire quelques bouffées et contemple la fumée qui s’élève en spirale avant de se dissiper. « Je suis de Grand Dakar », expose-t-il, l’air menaçant.

« Je mène ma vie ici tranquillement »

Ce drogué aux yeux rougis, en besoin intense de cannabis, livre les raisons de son installation dans cette partie de la commune des Parcelles Assainies. « Je faisais partie de ceux qui squattaient les abords du Stade Léopold Sédar Senghor. Je me suis replié ici. A Grand Dakar, je ne pouvais plus vivre chez nous parce que je devais attendre que mes deux frères aillent au boulot pour me coucher. Je mène ma vie ici tranquillement », explique-t-il aspirant avec frénésie sa cigarette. Pour ceux qui veulent s’extirper de la grisaille existentielle des réalités de la vie difficile, vivre sous les ponts offre un cadre d’épanouissement.


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